Les élections marocaines se déroulent un mois après les tunisiennes, mais elles n’ont pas grand chose en commun
Après les premières élections démocratiques en Tunisie, le 23 octobre, le Maroc va voter à son tour. Les élections législatives marocaines du vendredi 25 novembre seront les premières après l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, approuvée le 1 juillet, et qui, entre autres, octroie davantage de pouvoirs au premier ministre. Une partie de la presse marocaine et certaines formations politiques ont établi un parallélisme entre les deux rendez-vous avec les urnes. La Maroc n’est cependant pas la Tunisie. Les modalités de participation, du déroulement et la transparence des élections restent fort différentes. Comparons-les.
Qui organise les élections?
En Tunisie le Ministère de l’Intérieur n’inspirait pas confiance aux victimes de l’opposition à Ben Ali. Ce fut un organisme indépendant, l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (ISIE), qui se chargea de les organiser. Au Maroc c’est le Ministère de l’Intérieur, souvent accusé, du temps du ministre Driss Basri (1979-1999), de manipuler les résultats qui assumera la tâche. Son rôle est aujourd’hui moins contesté qu’il y a quelques années.
Quels partis sont interdits ou ne peuvent se présenter?
En Tunisie plusieurs petits partis islamistes radicaux nouvellement créés n’ont pas été légalisés, comme le Parti de la Libération Islamique (Hizb Attahrir), le Parti du Travail et de la Reforme (Hel Amal al Islah). Ils n’ont pu donc se présenter. Au Maroc c’est le grand mouvement islamiste soufi Justice et Spiritualité (Al adl Wal Ihsane), fondé en 1973, qui n’est pas légalisé et qui ne concourt donc pas aux élections. Il y a eu, à plusieurs reprises, des contacts entre l’Intérieur et des responsables de ce mouvement en vue de le légaliser, mais leur refus de reconnaître le Roi comme Commandeur des Croyants a fait échouer le dialogue. John Entelis, professeur à l’Université Fordham de New York, considère que c’est le mouvement marocain avec la plus grande capacité de mobilisation.
Qui boycotte les élections?
En Tunisie aucun parti légal n’a boycotté les élections. Au Maroc plusieurs partis légaux de gauche (PADS, PSU, Voie Démocratique) boycottent les élections. Certains d’entre eux avaient une petite représentation dans le Parlement dissout. Justice et Spiritualité et les jeunes du Mouvement du 20 Février, qui organisent des manifestations depuis neuf mois, appellent aussi au boycott.
Quel est le corps électoral? Quelle participation?
En Tunisie il était de 7,569 millions d’électeurs potentiels mais il n’y avait que 4,09 millions d’inscrits auprès de l’ISIE. En tout 3,7 millions d’inscrits et même 497.000 non-inscrits ont pu voter. La participation calculée sur l’ensemble du corps électoral a été de 54,1%. Au Maroc il y a 13,626 millions d’inscrits pour les législatives, mais le nombre de marocains en âge de voter est de 21 ou 22 millions. Le nombre d’inscrits a baissé depuis 2007 (- 1,9 millions) même si la population marocaine a augmenté. Ces huit ou neuf millions de non-inscrits sont surtout concentrés en milieu urbain. Ils ne se sont pas inscrits par ignorance, par négligence, mais aussi, parfois, parce-ce qu’ils rejettent les élections telles qu’organisées au Maroc. Le Ministère de l’Intérieur marocain ne donne le taux de participation que par rapport aux inscrits et non pas par rapport à l’ensemble du corps électoral potentiel. Aux élections législatives de 2007 il a été de 37% et au référendum constitutionnel du 1er juillet de 73,46% (dont 98,5% de oui). Des sources indépendantes calculent cependant que, par rapport à l’ensemble du corps électoral, il n’a pas dépassé en juillet dernier les 40%.
Combien de circonscriptions et bureaux de vote?
En Tunisie il y avait 33 circonscriptions, dont six à l’étranger, et 7.692 bureaux de vote, dont 479 à l’étranger. Au Maroc il y a 93 circonscriptions territoriales auxquelles s’ajoutent deux listes nationales réservées aux femmes (60 députés) et aux jeunes (30 députés). Les marocains résidant à l’étranger ne votent pas aux législatives, sauf par procuration, alors qu’ils ont pu le faire lors du référendum constitutionnel proposé par le Roi. Le nombre de bureaux de vote s’élève à 38.248, presque cinq fois plus qu’en Tunisie, alors que le corps électoral marocain double à peine celui tunisien. Lors des élections législatives du 20 novembre en Espagne il y a eu 23.719 bureaux de vote pour un corps électoral de 35,77 millions. Le découpage des circonscriptions a été préjudiciable, lors des élections de 2007 au Maroc, aux islamistes du Parti Justice et Développement. Ils ont été le parti le plus voté mais, malgré cela, ils ont obtenu six sièges en moins que l’Istiqlal. Cette fois-ci le découpage privilégie encore les zones rurales.
Quelle transparence, quel contrôle démocratique?
En Tunisie les présidents et secrétaires de bureaux étaient de citoyens volontaires auditionnés et nommés par l’ISIE. Au Maroc c’est des fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur, comme dans la Tunisie de Ben Ali, et quand ils ne sont pas assez nombreux ils sont épaulés par des fonctionnaires du Ministère de l’Education. Dans nombre de pays démocratique européens les présidents et les secrétaires des bureaux sont des citoyens tirés au sort par les électeurs.
En Tunisie la jeunesse et la faiblesse des partis les a empêchés de se déployer dans tous les bureaux de vote sauf pour les islamistes d’Ennahda que étaient présents presque partout. Au Maroc aucun parti n’est en mesure d’avoir des représentants dans l’ensemble des très nombreux bureaux. Ils ne peuvent donc contrôler partout le déroulement du scrutin et le dépouillement.
En Tunisie la faiblesse des partis a été, en partie, compensée par le déploiement d’observateurs (14.000 dont près de 600 étrangers). Au Maroc ils seront cette fois 4.000, selon le Conseil Consultatif des Droits de l’Homme chargé de les accréditer. Leur marge de manœuvre est limitée par rapport aux tunisiens. Des organisations prestigieuses et expérimentées comme la Fondation Carter ou la mission d’observation de l’Union Européenne, qui ont envoyé chacune plus de cent observateurs en Tunisie, ne seront pas présentes au Maroc. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe y enverra, elle, une délégation de 20 membres.
Quelle présence pour les femmes?
En Tunisie candidats masculins et féminins devaient s’alterner sur les listes électorales. Le nombre de femmes à la tête de liste n’a cependant été que de 5%. Sur les 217 sièges de l’Assemblée Constituante les femmes en occupent 49 ou 24%. Au Maroc il n’y a que 57 des 1.521 listes qui ont une femme à leur tête (3,75%). Mais 60 sièges des 395 du Parlement leur sont réservés grâce à une liste nationale exclusivement féminine. Dans le pire des cas elles occuperont donc 15,2% des sièges de la chambre basse.
Quelles anomalies constatées?
En Tunisie la mission d’observation électorale de l’UE a élevé la voix, le 4 novembre, presque deux semaines après le scrutin, pour reprocher à l’ISIE de ne pas avoir « proclamé les résultats préliminaires dans leur intégralité» à la date prévue. C’est le seul reproche sérieux qui ait été formulé au déroulement des élections. Au Maroc le Ministère de l’Intérieur donne, en général, les résultats complets le lendemain des élections. Au cours de la nuit du vendredi, jour des élections, au samedi, ils ne sont distillés qu’au compte gouttes. C’est le ministre de l’Intérieur, Taieb Charkaoui, qui, le samedi matin, rend public les résultats lors d’une intervention décrite par ses collaborateurs comme une « conférence de presse » mais ou les journalistes ne peuvent poser de questions. L’achat de voix par les notables candidats de partis les plus riches est souvent dénoncé au Maroc mais presque jamais démontré.
Hay 2 Comentarios
Excellente analyse comparative entre le processus électoral Tunisien et celui Marocain. Parmi les techniques de falsification des élections couramment utilisés au Maroc, il y a le recours démesurés à la multiplication des bureaux de votes...le but étant de rendre impossible de mettre des observateurs représentant les candidats dans lesdits bureaux, à cause de la logistique énorme que cela nécessite.... à titre d'exemple la circonscription électorale de Meknes qui dispose de six siège a vu son nombre de bureaux de votes passer à un millier environ par une simple décision du Wali 24 heures avant la date du début de la campagne électorale. Il faut dire que le Makhzen cherche à assurer la victoire à tout prix au candidat Mezouar, l'actuel ministre des finances, et le potentiel futur chef de gouvernement préconçu.
Publicado por: Mohamed Rida | 23/11/2011 6:05:27
Petite rectification : le parlement actuel n’a pas été dissous. Le parti PADS a déposé une plainte en justice : pour lui, les élections du 25 nov. ne sont pas conformes à la nouvelle constitution qui prévoit que le roi doit dissoudre la constitution s’il veut des élections anticipées. Donc le 26 nov le Maroc aura deux parlements…voici l’article de ALQUDS à ce sujet :
http://alquds.co.uk/index.asp?fname=today%5C11qpt950.htm&arc=data%5C2011%5C11%5C11-11%5C11qpt950.htm
Nous ne sommes pas à une bêtise makhzénienne près.
Publicado por: Ahmed Benseddik | 20/11/2011 22:05:43